Concours de la Jeune Critique 2019 sur Dario Argento pour le FEMA (Festival La Rochelle Cinéma), 1er Prix

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Le frisson de la découverte.

Dario Argento se remémore dans son autobiographie que toutes les lectures de son enfance, en grande partie des romans policiers, font partie intégrante de lui-même et c’est comme si, en lisant, un souvenir refaisait surface. Cette même évidence m’est apparue lorsque j’ai découvert Ténèbres. J’ignorais tout de lui, jusqu’à son nom. J’ai eu la sensation étrange d’avoir trouvé quelque chose qui me comblait, une certitude qui avait toujours été quelque part au fond de moi.

J’ai trouvé la clé des portes condamnées jusqu’alors. Il les a ouvertes avec ses dédales de couloirs envoûtants, grâce au malaise installé par les longues traversées et aux éléments qui viennent surprendre les protagonistes. Il me désoriente en me plongeant au cœur d’architectures labyrinthiques aux multiples reflets, me trouble avec ses jeux de regards et de prise de vue subjective, et me déboussole en m’emportant dans ses mouvements de caméra ensorcelants. Mais c’est l’horreur macabre, toujours à la frontière du comique, qui me trouble le plus.

Le premier meurtre dans Ténèbres fit naître en moi le début d’émotions contradictoires qui m’apparaissent devant ses films, de l’angoisse au rire, passant par la fascination. Cette scène anima cette passion qui allait me poursuivre : les mains gantées d’Argento, un rasoir planté dans le cou de la femme, les yeux grands ouverts qui s’éteignent et beaucoup de sang. La musique synthétique lors de l’assassinat suivie par un silence sépulcral qui laisse sans voix, dénote d’une violence inattendue, annonçant une suite de meurtres similaires. L’artiste assassin, maître peintre du rouge ; couleur de désir et de mort.

C’est dans le cauchemar du tueur, qu’est apparue une image toujours ancrée en moi : les escarpins écarlates suivis en rythme par Goblin, qui martèle le glas de la vengeance avec des notes enfantines, puis en découle un côté inquiétant et aqueux. Ce sont ces chaussures accompagnées de cette fureur, force sacrée, qui m’éblouit, chez toutes les femmes de ses films. Univers onirique rouge, noir et jaune. C’est cette intensité esthétique qui tâche ma mémoire, et accentue la perte de repères. Du rose au bleu pour Inferno, le bleu et noir de Phenomena, la saturation des primaires dans Suspiria, jusqu’au blanc dérangeant avec Ténèbres. Mais restera toujours ce rouge profond et passionnel.

Quand, dans Inferno, Rose Elliot vêtue de sa jupe rouge, tente d’échapper au tueur, elle arrive au fond d’un long couloir qu’elle doit traverser. Ce n’est pas tant l’urgence de la situation que cette lumière rouge clignotante, qui a pour moi été le point culminant d’angoisse. Persuadée qu’au bout de l’étroit passage, elle atteindrait la couleur symbolique de sa fin. Dans la pièce suivante, elle sursaute, son pied est teinté par la lumière. Entre le vent et la pluie, le bleu et le rouge, la panique est à son apogée, scandée par le tonnerre. Avec elle, au milieu de ces tons surnaturels, j’ai peur. L’eau envahissant la pièce est mêlée à la couleur annonciatrice, source d’angoisse. Surgissent d’une fenêtre des mains crochues immobilisant Rose et l’écorchant. La vitre écarlate devient guillotine, le sang jaillit, comme de la peinture jetée sur une toile. Le rouge à en faire pâlir les roses et à en faire mourir le désir.

C’est ce que me laissera Argento, le goût amer de la satisfaction mortuaire. Son horreur poétique. Je continuerai à plonger dans son univers viscéral et cathartique, qui a changé mon rapport à l’épouvante et à la couleur. Ce magicien de la mise en scène a acéré mon regard, rendu les tons plus vifs, les détails plus présents, rien n’est là au hasard. Les spectateurs non plus.

Alexiane Trapp, 2019

Concours de la Jeune Critique 2019 sur Dario Argento pour le FEMA (Festival La Rochelle Cinéma), 1er Prix