Les présences dissimulées d’Aria Maillot

J’entends Aria Maillot se présenter. Elle dit qu’elle est peintre. Puis elle ajoute qu’elle a été cuisinière. Elle annonce qu’elle va nous raconter une histoire. Elle boit par grandes gorgées ce qui pourrait être du vin. Elle parle de filtre, ou de philtres, je ne sais plus, déjà Aria brouille les signes de ce qu’elle nous donne et les contours de ce qu’elle peint. Puis je vois une grande toile blanche. En me rapprochant je distingue des traces de gestes, des formes, je vois les épaisseurs des couches de peinture. Il y a différentes teintes de peinture blanche, je ne sais pas ce que je vois et pourtant je sens que je suis invitée à observer. Mon regard circule en essayant de comprendre ce qu’elle a voulu me partager. Je sens que tout est dissimulé, autant dans la peinture que dans les sujets abordés, alors que tout est sous mes yeux, sur ses Peintures sympathiques.

©AriaMaillot, Limite, 170 x 150 cm, juin 2023,
photo : Franck Alix

D’autres de ses toiles sont dévoilées, ou plutôt révélées par le vin rouge, ce sont des peintures vivantes. Si le vin peut désinhiber la parole et les corps, il peut aussi, dans le travail d’Aria, rendre les formes visibles quand l’alcool est versé. Dans les coulures verticales, je reconnais par fragments les traits d’un visage, des masses d’animaux, des bras ou des jambes, des arbres qui ont l’air de pleurer, des silhouettes en négatif, des fruits en reliefs, des paysages aqueux. Les formes s’entremêlent, se confondent presque, coulent toujours. Grâce à ce processus de métamorphose organique, dans un mélange de peinture et de pH, Aria modifie l’attention que nous portons à la toile. Elle remet en question notre point de vue en tant que regardeur.euse. Notre rapport frontal à l’œuvre est devenu instable, nous ne sommes plus dans l’analyse des symboles et des représentations, c’est un autre rapport à ce que nous voyons et à ce que nous sentons, parce que des odeurs vinaigrées se dégagent dans ses Mères de vinaigre, parce que la matière est sensible et ce qui apparaît devant nous est aléatoire. Le vin construit l’image autant qu’il l’abîme, l’oxydation ou les craquèlements modifient et déforment les scènes peintes. L’organicité prend le dessus et nous invite à aller éprouver la peinture de plus près.

©AriaMaillot, Vue d’exposition Ensemble à bora, Mère de vinaigre 2, 2023 J+3 Lieu-commun, Toulouse, photo : Aria Maillot

Aria ne cristallise pas un rapport distancié au monde vivant, contrairement à notre héritage de la peinture de paysage occidentale, puisque que ses toiles ne sont pas juste devant nous et hors de nous, elles évoluent comme les corps qu’elle peint et les relations qu’elle évoque. Il y a quelque chose qui fane dans la peinture d’Aria, quelque chose qui passe. L’aspect narratif de son travail est directement lié au temps qui passe et trouve son inspiration dans les peintures préraphaélites et romantiques où la place du paysage est importante et où les corps féminins représentent moins des personnes que des symboles. Là où Aria voit des paradoxes, ses peintures sensorielles s’en imprègnent. Pharmakon, Une chanson aigre-douce, L’influence de Venus, Copains comme cochons, entre séduction et répulsion, les titres donnés aux œuvres créent une tension entre le visible et l’invisible. Si chacune des toiles raconte un récit intime, ce qui est caché ou révélé raconte ce qui nous concerne tou.s.tes : des histoires d’amour, de ruptures, de famille, d’attachement, de plaisir, d’excès, de deuil. Aria embrasse nos états affectifs dans des couches successives de peintures et les couleurs rouges, roses, vertes, ocres, grises du temps qui passe renvoient directement à ça, à ce qui évolue, à ce qui périt. Rien n’est figé, rien ne reste, tout sera absorbé et ce n’est pas triste.  

©AriaMaillot, L’influence de Venus, 180 x 120 cm,
Février 2023 | D Mars 2023 | J+120
photo : Franck Alix

Dire que le travail d’Aria se limite à la peinture serait omettre ce qu’elle cherche à nous transmettre. Son travail tâche, coule, croupit, sent, pourrit mais surtout, il vit. Le chercheur Éric Méchoulan, dans un texte sur l’origine de la peinture, dit qu’au-delà de la ligne tracée, il y a d’abord « une main animée d’un désir de présence » et je crois que c’est là tout ce que raconte le travail d’Aria Maillot. Les processus de transformation organique sont ses langages visuels et picturaux utilisés pour nous faire ingérer tout ce qui nous relie dans la plus simple organicité du vivant autant que dans notre plus grande intimité humaine.  

Alexiane Trapp, 2024